Se pâme et se repose (Clos)

Markhal ne savait plus pourquoi est-ce qu’il était là. Le vent soufflait tellement fort sur sa cape et la pluie qui cinglait ses membres, il se le demandait pour la troisième fois depuis le début de l’ascension ce qu’il fichait ici. Alors une toute petite voix lui répondait : « Voyons, tu as oublié ? Ne voulais-tu pas parler avec ton tourmenteur ? » Markhal, agacé par tant d’ironie, même venant de sa propre personne –du moins il espérait que ces paroles venaient de lui-, écarta cette pensée d’un mouvement de la main avant de lever le visage vers le sommet de la Montagne.

C’était décidé maintenant... Il haïssait la pluie ! Il ne voyait rien, il était mouillé et en plus de ça ses écailles réagissaient à la pluie sous sa cape en montant à une température insoutenable. Markhal maugréa, de mauvaise humeur. Mais qu’est-ce qu’il lui prenait ? Folie ? Désespoir ? Mais non ! Même rien de cela ! Il voulait juste poser cette question qui lui torturait l’esprit depuis quelques jours : combien de temps me reste-t-il ? Vais-je bientôt me transformer ? Et cette question plus terrible que toute : qui êtes-vous ? Markhal, dans sa grande stupidité ou plutôt dans sa grande tristesse qui l’avait gouvernée durant ces années qui avaient suivies son coup d’état, ne l’avait jamais demandé au dragon, mais dans son esprit il avait déjà formulé mille réponses plus invraisemblables les unes que les autres.

Le roi avait pendant un moment pensé à un gros lézard qui avait mangé un magicien, le transformant ainsi à grande échelle. Ensuite l’idée qu’il soit un arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-ect.-petit-enfant de Krynn lui était venue à l’esprit. C’était vrai qu’il connaissait l’odeur de Lanzer, donc qu’il l’avait reconnu comme son descendant, mais il ne ressemblait pas tellement à ce qu’on racontait dans les livres et puis Markhal n’avait jamais entendu parler d’une dragonne volant dans les parages. Finalement il avait entrevu la dernière éventualité : ça avait été un humain, mais comme lui il avait conclu un pacte avec le précédent dragon qui lui-même était un ancien humain qu’il n’avait pu remplir. Ainsi le pacte remontait jusqu’il y a des milliers et des milliers d’années. Quand on pense qu’il remonte peut-être jusqu’au temps de Krynn, on se rend compte qu’une vengeance conduit à de grandes choses.

Aram était d’une humeur de chien –si la situation se prête à l’expression-, et n’avait qu’une envie : rentrer au Château où l’attendait un bon feu et un bon gibier rôti sur celui-ci... Mais quand Markhal se moqua de lui en le traitant de bon toutou et d’apprivoisé, le griffon lança un tel cri scandalisé qu’il ne put ensuite trouver comme solution pour prouver le contraire que suivre son maître. Mais ce n’était pas de gaieté de cœur et dans ses yeux on pouvait y lire une rancœur indéniable. Si il pouvait tuer cet homme !... Il ne le ferait quand même pas. En voyant – et par la même occasion en sentant- la douleur que provoquait les écailles qui brûlaient sur la peau de Markhal et que celui-ci ne faisait que continuer, impassible, Aram ne pouvait ressentir que de l’admiration. Il avait eu de la chance d’être tombé sur lui. N’importe qui d’autre n’aurait pas convenu à cet impétueux animal, mais Markhal avait réussi, à force de ruse et de combat, à tenir en respect le griffon. Cghacun son don.

Finalement Markhal aperçut la Grotte. Le mi-démon s’arrêta un peu avant, rempli soudain d’une peur inhabituelle. Et si... il était là ? Mais c’est ce qu’il venait faire ! Lui parler ?! Mais si... si il recommençait ? Recommencer quoi ?! Il ne pouvait rien lui faire de pire, non ? Peu convaincu par ces paroles réconfortantes, il se tourna vers Aram qui gardait la tête baissée, de mauvaise humeur. Pourtant quand la main de Markhal vint chercher réconfort dans ses plumes et poils, le griffon tendit la tête et la fourra dans le creux de l’épaule de son ami. Il eut une sorte de ronronnement en sentant les caresses de Markhal sur sa peau et grogna de façon rassurante à l’encontre de son bienfaiteur. Le semi-humain remercia silencieusement son Gardien et prit finalement son courage à deux mains pour entrer dans la Grotte, devant laquelle s’étendait un rideau d’eau assez conséquent.

Ce qu’il trouva derrière avait tout pour l’étonner. Une jeune femme, belle et qui avait tout pour plaire s’était couchée là, sur le ventre. Sa longue chevelure semblable à l’éclat du soleil était lâchée sur son dos sur lequel se dessinait des tatouages étranges, mais séduisants. Ses yeux bleus comme la Lune renforçaient un aspect enfantin qu’elle incarnait. Ses formes étaient envoûtantes et, Markhal ne pouvait le nier, alléchantes. Le roi remarqua à peine qu’elle était nue, tant cela lui semblait en ces cas normal. Il la regarda, vaguement remis de son choc premier dont il n’avait rien montré. Mais que faisait-elle ici ?

Le griffon entra à la suite de son maître et s’arrêta à sa hauteur, fixant d’un air impérieux son regard sur la succube. Markhal se racla alors la gorge et demanda d’une voix glaciale, mais qui dans laquelle on dénotait un brin de curiosité.

« Vous ne ressemblez pas à la personne que je pensais trouver ici. »

Non, sans blague... Evidemment, il n’avait pas trouvé quelque chose de plus intelligent à dire, vu qu’il s’attendait à devoir converser avec la seule personne qui le terrorisait sur cette terre. Finalement il resta là, sa main prête à dégainer une cimeterre dans le cas où ce serait ce maudit dragon qui l’avait roulé dans la farine.

Un haussement des épaules... Une figure innocente... Des yeux sans aucune trace de méchanceté, mais pourtant si perçants et dangereux. Markhal laissa son regard traîner dans la pièce. Non loin se trouvaient les vêtements de la femme. Ils étaient ensanglantés, faisant donc parfaitement savoir à Markhal qu’elle était une succube, une femme de sang et de chair. Evidemment tous les êtres étaient faits de sang et de chair, mais les succubes s’en servaient à desseins. Le sang pour les nourrir et la chair pour les combler... Le corps pour les satisfaire... En fait, dans ce cas, on pouvait dire surtout de sang.

Markhal ne se sentait pas très à l’aise, même en présence d’une succube aussi belle que la nuit. A vrai dire, tout le courage qu’il avait rassemblé pour venir ici avait miné ses forces et renforçait tous ses autres instincts pour le protéger. Sa méfiance ne fit qu’accroître lorsque la femme répondit par des paroles si simples qu’elles montraient un esprit diablement vif. Elle avait répondu, sans vraiment répondre, ce qui eut le don de faire monter une légère vague d’exaspération chez Markhal. Il se répéta plusieurs fois que le dragon risquait d’arriver et que s’il le voyait en train de tuer quelqu’un, il n’en serait que plus heureux, donc le roi s’obligea à se calmer... et vite.

Il regarda le fond de la grotte derrière la jeune femme. Il était sombre... Markhal ne voyait pas plus loin que dix mètres maximum. Il était inquiétant... Le métis entendait ce petit bruit angoissant, comme si un animal mordait à pleines dents dans la chair d’un autre et en prenait plaisir. Et, allez savoir pourquoi, il n’aimait pas ce bruit. Markhal enleva sa main de son épée dans un très léger soupir et se mit à scruter la créature couchée par terre, à la recherche d’un indice. Que venait-elle faire ici ? Peu de gens osent monter à cet endroit, sûrement à cause des nombreuses personnes redescendues en hurlant : « Il est là ! Il est là ! ». Effectivement, ça avait dû faire effet sur le peuple... Peut-être cherchait-elle un moyen de revenir sans dommages à son royaume ? Oui, mais lequel, voilà la bonne question.

Mais après tout une succube qui se nourrit de sang ne peut pas être à Elendil. Quoique... Il aurait dû se renseigner auprès de Lilou ! Elle, mieux que quiconque, aurait su l’aider à trouver la solution à ses problèmes. Malheureusement, malgré les nombreuses ferventes prières qu’il adressa à cette chose qui les gouverne, sans vraiment y croire, pas la moindre trace de sa conseillère apparut. Un peu vexé, il sentit alors que le regard d’Aram se dirigea vers la succube. Le griffon détectait une odeur étrange... particulière... une odeur qu’il n’avait jamais sentie en ce lieu. Ce n’était pas le souffre d’un dragon, non... C’était autre chose.

Markhal se tourna vers son gardien et l’interrogea du regard. La fière créature observa du coin de l’œil la femme et poussa un cri perçant, sûrement destiné à vérifier qu’il n’y a rien d’autre dans la grotte qu’eux trois. Car oui, le dragon était capable de lire les pensées, donc de percer à jour les sentiments de Markhal ou même de Aram, ce qui était en soi très fâcheux puisque si Markhal ne montre rien, Aram bien moins... Finalement, ne repérant rien de dangereux, le Gardien communiqua à Markhal par un discret et imperceptible langage ses sentiments. Le roi eut un fin sourire vipérin aux lèvres avant de le quitter et de reprendre d’une voix grave :

« Tes poisons ne te serviront à rien dans cet endroit. »

Il la laissa digérer ses paroles, juste pour remettre ses idées dans sa tête. Markhal n’était point méchant lorsqu’une femme nue se présentait à lui, juste... Plus impassible qu’ordinaire. Il ne lâcha une once d’émotions dans ses traits et s’empara même de son air le plus dur. Ses paroles furent empreintes de son sarcasme habituel lorsqu’il se trouve face à une situation dérangeante.

« Tu es en territoire sorassien... Mieux vaudrait pour toi regagner un lieu plus favorable que celui-ci. Ce ne serait pas très convenable que tes hommes te découvrent en une telle... –il avala sa salive, prêt à la décapiter sur place, mais se retint-... position. De plus, je ne sais pas si le maître des lieux appréciera vraiment ta présence. »

Quand il voulait dire maître des lieux, il ne parlait évidemment pas de lui, mais bien sûr du dragon. Il ne souhaitait pour rien au monde que le dragon prenne un plaisir de lui demander de tuer cette femme et donc de l’enfoncer encore plus dans son pacte qui se resserrait au fur et à mesure des heures, des jours, des années, autour de son cou... Comme une corde qui n’attendait que le pendre. Aram conserva son port altier et son petit air arrogant. Il voulait dominer de toute sa hauteur les gens présents dans la cavité rocheuse, mais un petit coup d’œil vers Markhal le fit soudain redescendre bien bas. Le roi ne voulait pas que son Gardien se comporte comme une bête des seigneuries d’Elendil : il se pavanait comme des coqs pendant des jours pour se montrer toujours le plus fort, le plus grand, le plus beau... Tout cela était bon pour les imbéciles et les peu confiants en eux. Aram ne faisait pas partie de ce groupe de miteux, du moins il l’espérait.

Le Seigneur des terres sortit son cimeterre et l’enfonça dans la cascade devant l’entrée. Ce geste créa une ouverture dans la gerbe d’eau, lui permettant ainsi une vue vers l’extérieur. Il pleuvait toujours et bonne nouvelle –pour une fois-, il n’y avait aucun signe du dragon. Soulagé pour l’instant, il reposa son regard bleu électrique sur la démone.

HJ : Je suis désolé de ne pas avoir répondu plus tôt ! Vraiment, vraiment ! Mais je voulais avoir un beau post et l’inspi ne me venait pas...


Finalement il la trouvait plus agréable nue à la réflexion. Les courbes de la jeune femme lui restaient un peu trop à l’esprit à son goût. Mais il fallait avouer que les vêtements qu’elle portait ne la couvraient non plus pas tellement. Enfin, toujours à l’avis de Markhal. Il ne fallait pas oublier qu’il n’était pas encore remis du choc de sa découverte... Imaginez un seul instant que vous vous apprêtez à vous battre avec la seule personne qui vous fait glacer le sang, qui semble stopper les battements de votre cœur d’un seul regard... Markhal avait été tellement étonné en découvrant la ravissante jeune femme qu’il en avait été totalement découragé pour faire face au moins ravissant hôte de la grotte. Il se sentait tellement abattu qu’il ne pensait plus qu’à une chose : partir du plus vite qu’il pouvait ici. Mais au moins maintenant il saurait mieux cacher ses sentiments puisque la femme avait enfilé quelques... tissus.

Il remarqua enfin qu’elle avait enfilé sa tenue à une vitesse assez impressionnante. Presque comparable à une prostituée... Se rendant compte de cette pensée complètement idiote et sans aboutissement en compagnie d’une si belle créature, il l’écarta simplement et mit la rapidité sur le compte de sa race. Se sachant à moitié succube, Markhal avait un certain respect pour celles qu’il considérait comme les plus belles femmes peuplant cette terre. Sauvages, libres et indomptables, n’était-ce pas ces qualités qu’on demandait au sexe féminin de nos jours ? Et n’était-ce donc pas les succubes qui remplissaient au mieux cette demande ? Mais ça ne plaisait pas nécessairement à tout le monde...

Il entendit les paroles franchir les lèvres de la femme et, en ouïssant le vrai sens de ses mots, senti un frisson très discret lui parcourir l’échine. Elle en parlait avec tellement de désinvolture, avec détachement, comme si rien ne la touchait. Markhal trouvait cette attitude assez réprobatrice dans la situation présente. Avec une petite moue, il ne voulait pas nier les faits, mais pas pour autant les affirmer.

« Si tu veux... »

Ces mots n’étaient que murmures froids et glacials, mais dans la caverne résonnait comme une lourde menace, alors que Markhal pour une fois ne semblait pas en faire. Il s’était arrêté pour regarder le visage éclairé de la femme. La simple idée de voir un dragon était-elle si réjouissante ? Oh ! il y a des années, Markhal aurait sûrement eu la même réaction : il aurait été enchanté et serait parti avec Aram quérir le dragon pour parler avec et se prouver de la lignée des Lancgaster, mais voilà... Les années sont passées. Et maintenant c’était ce dragon qu’il craignait.

Sa colère contre la jeune femme s’était envolée, mais avait été remplacée par la frustration de devoir s’expliquer devant elle. Il avait l’impression de s’être fait piégé dans un coin d’une pièce et de ne pas avoir d’autre choix que de tout avouer pour s’enfuir de cet endroit. Le roi trouvait que la succube semblait soudain plus encline à la conversation, mais ce n’était pas pour lui plaire : il ne se montrait pas satisfait de ses réponses et sentait que la salive commençait à affluer dans sa bouche alors qu’il l’ouvrait pour répondre.

« Et bien au moins, pour la cruauté tu dois être servie... »

Pour les poisons il ne fit qu’hausser les épaules. Après tout, ça ne le concernait pas vraiment. Il ne craignait pas de mourir dans les douleurs des herbes mortelles : au moins il serait comment il est mort et aurait peut-être le temps de se guérir. Peut-être.

La femme s’enfonça dans la galerie et Markhal, ainsi que son griffon, ne purent s’empêcher de frissonner de dégoût. Il n’irait là-bas pour rien au monde : le monarque n’avait point envie de terminer sa vie de cette façon. Et puis, il pouvait très bien revenir quand le dragon serait là, n’est-ce pas ? De toute façon il allait perdre son temps en l’attendant ici, alors autant s’en aller, non ? En tentant de se convaincre avec ses belles paroles, Markhal n’entendit pas les pas de la démone quand elle revint vers lui.

Il releva les yeux quand elle passa à côté d’elle et la sonda d’un seul regard perçant. Il sentait qu’elle avait cherché quelque chose, quoi il ne le savait pas, mais ce qui était sûr c’est qu’elle était revenue bredouille, mais il n’en était pas si sûr, la femme cachant bien ses émotions. Retenant une remarque salée, il l’observa alors qu’elle enleva sa veste pour lui laisser le passage et lui déclarait qu’elle lui laissait la voie libre.

Avec un sourire assez ironique qu’il ne put retenir, Markhal resta au même endroit où il était depuis tout à l’heure. Aller par là ?! Plutôt affronter une armée tout seul ! Markhal préférait soudain largement les gifles de sa sœur plutôt que les sarcasmes du dragon et la seule vue de ses yeux jaunes. Son corps et sa voix ne trahirent pas le malaise qui l’empêchaient d’entrer réellement dans ce qui était la grotte et son réseau de galeries. A vrai dire, rien ne prouvait même qu’il connaissait cet endroit, rien à part ses regards discrets qu’il jetait de temps en temps vers la sortie.

« Je ne préfère pas. Si j’y allais, je risquerais d’affronter le courroux de mon hôte et je ne veux point arriver jusque là. Je choisis plutôt de partir. »

Markhal se tourna vers la jeune femme et la regarda avec ce peu de pitié qu’il lui restait dans son cœur et dans son être. Il ne lui montra pas ses sentiments, mais sa voix laissait sentir une fermeté qui n’attendait pas de refus :

« Tu devrais venir... Je te conduirai au château, la vue de l’habitant de cette grotte ne te sera pas aussi agréable que tu sembles le croire... Tu trouveras sûrement une chambre pour la nuit, au moins. »

Il cherchait surtout à sortir de cet endroit et quitter au plus vite ses montagnes. Mais il ne pouvait partir sans perdre la face, à moins de trouver les raisons pour... ce qu’il n’avait pas.

La jeune femme avait l’air partagée quant à sa décision de l’accompagner, mais après tout, Markhal ne le lui avait demandé que par simple formalité, pour ne pas partir comme un poltron devant le danger. S’il l’invitait à demeurer, était-ce pour avoir conscience tranquille ? S’apporter à lui-même la preuve qu’il était venu ? Peut-être... Lui-même ne voulait pas trouver de réponse à cette question qui n’apporterait qu’humiliation et honte.

Il remarqua soudain le regard scrutateur de la succube sur lui et les atouts qu’il montrait. Elle pesait probablement le pour et le contre, ce qui entraîna Markhal à réviser ses jugements sur elle. Ce n’était pas parce qu’il l’avait vue nue en arrivant que c’était nécessairement une idiote, il savait par expérience qu’une grande beauté cachait aussi une grande intelligence. La plupart des femmes qui l’entouraient faisaient honneur à cette règle. Considérant d’un autre œil la femme, il ne bougea plus d’un pouce, comme il l’avait fait depuis qu’il était dans cette grotte.

Finalement sa douce voix résonna dans la caverne. Markhal baissa les yeux vers elle et eut un léger froncement de sourcils. S’il n’y vivait pas, pourquoi l’inviterait-elle à y séjourner ? Il trouva cette question inutile, voire stupide, mais garda cette réflexion pour lui et déclara d’un ton ferme :

« Oui. »

Bien ! Comme quoi Markhal aussi pouvait avoir de la conversation... Maudissant sa propre loquacité, il attendit, impassible que la demoiselle se décide enfin. Finalement elle ceignit sa ceinture, comme si elle approuvait la proposition. Markhal l’aida à se relever et sortit de la grotte, l’invitant par la même occasion à le suivre. Alors qu’il descendait la montagne d’un pas assez rapide, il se tourna pour parler à la dame.

« Je ne sais pas qui tu es, ni d’où tu viens, mais tout s’oublie à Soras. Mais avec le peu que je sais, je pense que tu t’habitueras vite au château. Mieux vaudrait qu’on s’éloigne rapidement de cet endroit. »

L’homme fit un signe imperceptible de la main et Aram se plaça derrière lui, d’un air vaguement maussade. Apparemment, il n’était pas des plus heureux pour accueillir un nouveau compagnon, même si ce compagnon était d’une extrême beauté.

« Monte. » fit-il sans autre forme de procès tout en désignant Aram.

Markhal n’était pas homme à être dupé : cette femme avait du potentiel. Pas seulement parce qu’elle était belle et que Markhal avait pu le voir par lui-même, mais surtout parce qu’elle était restée dans cette grotte sans ressentir les effets secondaires que les esprits faibles essuyaient lors d’un séjour dans cette cavité obscure. Si ceux-ci ne mourraient pas de folie dans les semaines qui suivaient, c’est qu’ils avaient beaucoup de chance.

Mais cette femme, elle n’avait pas montré un seul signe de dérangement. Elle était restée calme, maîtresse d’elle-même et avait sûrement montré plus de sang-froid que Markhal dans ce même lieu. Mais que pouvait-il faire, lui, dans un endroit qui lui avait procuré tant de souffrances et de tortures. Combien de fois son tourmenteur ne lui avait-il pas montré Nadiane, sa chère petite sœur, se faire torturer sous ses yeux, alors qu’il était dans l’incapacité de bouger ? Ou même se faire torturer par une réplique de son père et vouloir aller jusque désirer que sa vie se termine à cet endroit, à ce moment pour ne plus à avoir souffrir ? La haine était un trésor dans ce royaume... Et c’était dans cette caverne qu’il l’avait construite dans sa plus grande partie.

Finalement Markhal, après avoir décidé qu’elle était prête à vivre dans l’univers pitoyable de Soras avec son château, lui avait fait part d’une façon ou d’une autre ses impressions. La femme eut une espèce de petit rire sur son visage, comme si elle caressait un souvenir qui pouvait en démentir le contraire, poser une colle à Markhal. Faisant fi de toute information qui risquait de le déconcentrer pour l’instant, il entendit malgré lui les paroles de la succube qui le contredisaient. Réfrénant sa fureur, il s’arrêta de marcher et déclara d’une voix froide, mais qui laissait dénoter une pointe de désappointement :

« On voit bien que tu n’es jamais allée au château de Soras... »

Un brin cynique, Markhal reprit la suite de ses pensées, concentré dès ce moment sur ses pas. Accueillant la brise glacée de la montagne avec approbation, il ne se laissa point démonter par l’étonnement que lui procura la présentation de la jeune femme. Ciguë... C’était quelque peu révélateur comme prénom. Comme si même ses parents savaient à l’avance qu’elle serait une femme aussi dangereuse et délicieuse que du poison. Si ce n’était pas fait exprès, la coïncidence en était amusante.

D’un léger coup de tête, il lui fit grâce d’une approbation pour le désigner en monseigneur. C’était un bon point pour elle : assez d’intelligence pour reconnaître un seigneur là où il y en a un. Lorsqu’il lui demanda de monter, elle eut soudain l’air étonné. Vaguement amusé, Markhal la vit s’incliner devant son Gardien et se montrer d’une politesse extrême. Markhal haussa les sourcils aussi hauts que le fit son griffon. Tous les deux échangèrent un coup d’oeil discret avant qu’Aram s’abaisse pour la laisser monter. Le roi approuva la jeune femme à son stratagème, si stratagème il y avait.

Les griffons étaient des animaux orgueilleux, et Aram, même s’il s’était vu obliger de se lier avec un humain –ou plutôt semi-humain-, ne faisait pas du tout partie de l’exception. Au contraire... Pour une fois qu’une personne reconnaissait à voix haute son rang et sa condition d’être supérieur, qu’une personne flattait son ego démesuré et le gorgeait de flatteries sous-entendues et déguisées, il allait faire une exception. Il la laisserait monter, bien que peu joyeux de devoir le faire, comme le lui avait demandé son compagnon de toujours, Markhal.

Après que la femme eut pris place sur Aram, le monarque de ce royaume s’assit juste derrière elle. Il avait le nez dans ses cheveux et sentait le délicat parfum des poisons enivrer ses sens. Tout bas, dans l’oreille, il eut le tact de lui dire d’une voix si grave qu’elle en était mélodieuse :

« Bien joué... Maintenant, je vous conseille de bien serrer les jambes et de prendre garde à ne pas arracher une plume à Aram. »

Sur ce, le fier animal poussa un cri qui fut suivi par un décollage puissant et quasi inattendu. Markhal avait une assiette bien contrôlée et surveilla la femme de près pour qu’elle ne tombe pas. L’événement aurait été dramatique, non ? Ensemble, ils volèrent jusqu’au Château et avec lui son repaire d’assassins et de guerriers en tout genre. La porte du cauchemar ne faisait que s’entrebâiller.